Le dinosaure est malade, le feu du renard s’éteint

Ceci est une retranscription écrite de ma chronique dans l’émission BLive du 8 mars diffusée toutes les deux semaines le samedi sur BlueWave.

[ ♪ Rediffusion bientôt ]

Si on oublie les premières versions d’Internet Explorer intégrés dans le navigateur AOL Explorer, mon premier vrai navigateur était Netscape Navigator. Les plus vieux savent surement où je veux aller avec cette introduction, mais pour les autres, c’est grâce à lui qu’est né Seamonkey, l’ancêtre de notre panda roux préféré : Mozilla Firefox.

Après avoir connu un pic de son adoption autour des années 2010 avec près de 35 % de part de marché, celui-ci diminue irrémédiablement depuis lors, atteignant péniblement à peine 3 % aujourd’hui.

Créé à la base pour concurrencer l’hégémonie du butineur de Microsoft, il a raté le virage du mobile quand Apple a lancé l’iPhone et que Google a fait de même avec Android. De ce fait, même s’il a aujourd’hui de meilleures performances que son Goliath Chromé, il est boudé par le grand public … Voir même par sa propre communauté.

Un idéal soutenu par le bon vouloir de la concurrence

Développer un navigateur, ce n’est pas trivial. C’est un logiciel qui fait tellement de choses qu’il peut parfois être comparé à un mini système d’exploitation.

Chez Mozilla, on a pris l’expression à la lettre avec feu Firefox OS

Qui dit complexité dit forcément cout de développement. Cela ne ce code pas tout seul et même s’il est open source, il y a des employés à plein temps et des serveurs à payer.

Depuis sa création, l’argent nécessaire pour faire tourner la boutique vient des grands noms de la recherche en ligne. Google, Yahoo et même le petit français (un peu nul on ne va pas se mentir) Qwant a payé (et paye toujours dans le cas de Google) pour être celui qui sera affiché par défaut quand vous taperez quelque chose dans la barre d’adresse ou de recherche.

En dehors de l’évidente mise en avant (très peu de gens changent les paramètres de leur navigateur), cela a même permis à Google d’avoir un argument de poids en faveur de la prédominance de leur produit maison qui rafle actuellement plus de 60 % de part de marché :

Vous voyez, on paye pour avoir une concurrence et elle n’arrive pas à suivre. Ce n’est pas de notre faute si on est les meilleurs.

Survivre à tout prix

La fondation Mozilla sait très bien que se faire biberonner par Maman Google depuis 23 ans n’est pas une solution viable. Alors, ils ont essayé plusieurs partenariats et services intégrés à Firefox :

  • Pocket : un service de marque pages synchronisés
  • Mozilla VPN : un VPN payant distribué à partir des réseaux de Mullvad
  • Firefox Relay : un système de transfert de messages qui cache sa véritable adresse e-mail ou numéro de téléphone (payant pour ce dernier cas)
  • Mozilla Monitor : vous envoie une notification si votre e-mail ou l’un de vos mots de passe est détecté dans l’une des bases de Have I Been Pwned et vous propose d’effacer votre compte automatiquement en passant à la caisse

Le problème, c’est qu’aucun de ces services n’ont vraiment prit. Soit parce qu’ils n’offrent rien de plus que la concurrence (Relay et Monitor), soit trop cher (VPN) ; et même se retourner contre eux dans le cas de Pocket qui va à l’encontre de leur philosophie principale qui est de protéger la vie privée de leur utilisateurs en collectant et revendant leur données.

Mais depuis la fin de la pandémie de COVID, Mozilla a deux nouveaux fer de lances pour relancer son activité : faire de la publicité et de l’intelligence artificielle éthique. *rires enregistrés*

Don’t be evil

En 2004, lors de l’entrée en bourse de Google, la marque a décidé d’inscrire la mention « Don’t be evil » comme slogan qui devait diriger les actions de l’entreprise.

Il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable

Cette devise a petit à petit évolué en « Do the right thing » pour complètement disparaitre en 2018.

Si j’ai voulu écrire ce billet, c’est justement pour immortaliser le « Don’t be evil » de Firefox. Le 25 février 2025, Mozilla a créé une nouvelle page sur son site internet nommé « Firefox Terms of Use » qui se traduit en français par « Conditions d’utilisation de Firefox ».

Le point de non-retour est arrivé, on doit maintenant théoriquement respecter des règles dicté par Mozilla pour utiliser son navigateur. Mais bon, cela ne doit pas être si grave non ? *rire enregistrés*

Il y a tout un tas de trucs que ne vont pas sur cette page. Déjà, ce qui a rendu internet fou (à raison) est ce paragraphe (traduit en français) :

Lorsque vous téléchargez ou saisissez des informations via Firefox, vous nous accordez par la présente une licence non exclusive, libre de droits et mondiale pour utiliser ces informations pour vous aider à naviguer, expérimenter et interagir avec le contenu en ligne comme vous l’indiquez avec votre utilisation de Firefox.

Et si on traduit cela en enlevant les termes bullshit marketing :

Dès que vous faites quoi que ce soit sur votre navigateur, vous autorisez Mozilla à récupérer et traiter toutes ces informations pour en faire ce que l’on veut, où que vous soyez et vous n’avez aucun droit de regards là-dessus. Bisous.

Au passage, ces lignes se torchent bien cordialement avec nos lois Européennes de protection de la vie privée, genre au hasard : le RGPD ? Ils ont bien essayé de se justifier en publiant une mise à jour, mais cela peine à convaincre.

Mais si ce n’était que ça … Il y a d’autres passages qui sont, à mon sens, extrêmement problématique.

Mozilla peut décider de temps à autre de mettre à jour ces Conditions. Nous publierons les Conditions mises à jour en ligne. Nous considérerons votre utilisation continue de Firefox comme une acceptation de ces modifications. Nous publierons une date d’entrée en vigueur en haut de cette page pour indiquer clairement la date de notre dernière mise à jour.

Alors non Mozilla, ce n’est pas comme cela que cela fonctionne. Continuer d’utiliser un service quand on change ses conditions d’utilisations n’est absolument pas correct. La bonne façon de faire est d’avertir l’utilisateur et d’obtenir son consentement PUIS de le laisser continuer à utiliser le service. RGPD, toussa …

Ces conditions s’appliquent jusqu’à ce que vous ou Mozilla décidiez d’y mettre fin. Vous pouvez choisir d’y mettre fin à tout moment pour n’importe quelle raison en cessant d’utiliser Firefox. Mozilla peut suspendre ou mettre fin à l’accès de quiconque à Firefox à tout moment pour n’importe quelle raison, y compris si Mozilla décide de ne plus proposer Firefox. Si nous décidons de suspendre ou de mettre fin à votre accès, nous essaierons de vous en informer à l’adresse e-mail associée à votre compte ou la prochaine fois que vous tenterez d’accéder à votre compte.

Ici, c’est intéressant. Ce paragraphe s’applique très bien aux services proposés par Mozilla à travers son navigateur, comme je les ai présentés précédemment. En effet, ces services ont beau être intégrés par défaut, il reste indépendant du fonctionnement du logiciel. Le problème, c’est qu’ils ne précisent absolument pas sur quoi ces lignes s’appliquent et donc va aussi concerner le navigateur. Globalement, si on le prends littéralement, Mozilla a le droit de vous interdire d’utiliser Firefox du jour au lendemain. Pouf. Heureusement, Firefox est sous licence MPL (Mozilla Public Licence) ce qui est en fait un logiciel Open Source (en tout cas, lorsque j’écris ce billet) et ce genre de traitement sera vu et audité assez vite par la communauté. Notez quand même que cette fois-ci, cette clause respecte le RPGD car une notification sera envoyée. La cohérence et Mozilla, haaaaaa.

Mais ce n’est pas fini ! Mozilla a une page de « Foire aux questions » qui sert plus à mettre en valeur la philosophie derrière Firefox que vraiment répondre aux questions des utilisateurs. Mais soit. Les modifications de cette page ont été repérées grâce au dépôt Github de ce site. Et franchement, on est parfaitement sur le point de bascule du « Don’t be evil » de Google.

À la question Qu’est-ce que Firefox ? Il y avais avant :

Le navigateur Firefox est le seul navigateur soutenu par une organisation à but non lucratif qui ne vend pas vos données personnelles à des annonceurs tout en vous aidant à protéger vos informations personnelles.

Et maintenant :

Le navigateur Firefox est le seul navigateur soutenu par une organisation à but non lucratif qui vous aide à protéger vos informations personnelles.

À la question Firefox est-il gratuit ? Il y avais avant :

Oui ! Le navigateur Firefox est gratuit. Vraiment gratuit. Il n’y a aucun coût caché. Vous n’avez pas besoin de payer quoi que ce soit pour l’utiliser et nous ne vendons pas vos données personnelles.

Maintenant :

Oui ! Le navigateur Firefox est gratuit. Vraiment gratuit. Il n’y a aucun coût caché. Vous n’avez pas besoin de payer quoi que ce soit pour l’utiliser.

Bon, vous avez compris le message, Mozilla veut pouvoir vendre nos données personnelles. La raison est bien entendue ce que j’ai dit en préambule : Mozilla veut pouvoir se faire de l’argent dans le monde de la publicité éthique et l’IA responsable. *rire enregistrés*

Trop de casseroles pour une si petite cuisine

Mozilla est clairement en train de se tirer une balle dans le pied. Il ne représente qu’une infime partie des utilisateurs d’Internet et ceux qui utilisent Firefox sont en général des personnes averties qui connaissent le produit. On n’est pas sur madame Michu qui pense que Google est un navigateur.

Google peut se permettre de trahir sa base utilisateur, ils ont le monopole. Pas Mozilla et ce n’est pas la première fois qu’ils nous trahissent.

On va passer rapidement sur la rémunération indécente de la CEO de Mozilla en 2023 alors qu’ils n’ont pas une santé financière folle et qui conduira indirectement à devoir licencier 30 % des employés par manque de budget.

Saviez-vous que Mozilla possédaient des locaux prestigieux à Paris ?

En septembre de l’année dernière, Mozilla a essayé d’introduire un mécanisme dans son navigateur nommé Privacy-Preserving Attribution ou Attribution respectueuse de la vie privée. Attribution ? Attribution de quoi ? Attribution d’impressions sur le visionnage de publicité bien sûr ! En gros, au lieu que les annonceurs mettent en place des stratagèmes compliqués pour nous pister, c’est le navigateur qui s’en charge. Si c’est pas beau ça ! *rire enregistrés*

N’allez pas croire que c’est mieux chez la concurrence, Google Chrome à aussi des mécanismes pour vous traquer directement par le navigateur : FLoC et Topics.

Peux-t-on encore parler d’une crise de confiance à ce stade ?

Mozilla n’a jamais été un bon communiquant. Je suis persuadé que derrière chacune de ces actions, il n’y a pas que du négatif et que ce ne sont qu’une petite poignée de personnes qui sabotent le navire.

Mais nous avons perdu patience. En tout cas, pour mon cas. Vais-je arrêter d’utiliser Firefox ? Je ne sais pas encore. Il faut dire que même si Mozilla à des problèmes, la concurrence n’est pas mieux, loin de là.

Puis, malgré le grand nombre d’alternatives à Firefox, il va y en avoir pas mal que je vais éliminer d’office :

  • Pas de logiciel propriétaire. Je veux pouvoir faire confiance à un logiciel qui n’a rien à cacher.
  • Un logiciel disponible sur mobile. Je suis un gros butineur sur Android.
  • Un logiciel qui se synchronise entre plusieurs appareils et qui ne stock pas les données de synchronisation sur des serveurs tiers. J’utilise Mozilla Sync depuis le début, car on peut auto-héberger le serveur de synchronisation.
  • Un logiciel qui supporte des extensions, aussi sur mobile. Vous saviez que le moyen le plus simple d’avoir YouTube Premium est un Firefox avec quelques extensions ? 😉

Ça nous laisse peu de choix. Dans les fork de Firefox, Waterfox est celui qui me parait le plus intéressant, mais j’ai rencontré quelques plantages aléatoires lors de mes premiers tests.

L’internet change tout autour de nous et deviens flou

Tout cela est un peu triste n’est ce pas ? Mais pour autant, bien que je sois un peu énervé par tout ce qui se passe, c’est plutôt d’une manière blasée que je dessine la situation.

Je suis un enfant des années 90. J’ai vécu le début d’Internet, j’ai vu son évolution. On est passé par différents stades :

  • Le Web 1.0 dit « statique ». Il faillait avoir un minimum de connaissance pour héberger son site et les échanges se faisait via des newsgroups ou via IRC.
  • Le Web 2.0. Celui des blogs, des forums et des messageries instantanées. Le temps naïf où l’on ne se préoccupait pas trop de ce que l’on postait.
  • Le Web 3.0 où nous sommes actuellement bien que nous touchions à sa fin. Celle des réseaux sociaux, des applications et des plateformes.
  • Le Web 4.0. L’ère des intelligences artificielles.

Et je ne dis pas ça à la légère. Les modes de consommations d’Internet a beaucoup changé depuis les années 90. D’un ordinateur dont on faisais attention à ne pas y rester trop longtemps parce que cela coutait cher sur la facture téléphonique, c’est maintenant le téléphone qui est le périphérique de prédilection pour consulter des contenus sur les réseaux. De sites internet basiques tenus par des barbus coincés dans leurs grottes qu’on ne faisait que lire, on interagie maintenant pratiquement plus qu’à travers d’applications détenu par de grosses boites américaines.

Les habitudes de recherches évoluent aussi. Du partage de bons liens entre potes aux moteurs de recherche, c’est maintenant ChatGPT qui est utilisé par défaut quand on veut trouver une information pertinente. Même le géant Google se transforme petit à petit avec un mode de recherche par IA.

De ce fait, le contenu à évoluer. Aujourd’hui, plus de la moitié des post sur Linkedin sont écrit par des IA, les réseaux sociaux sont floodés de robots tentant d’accaparé votre temps de cerveau humain disponible (quand ce n’est pas pour vous arnaquer) et certains estiment qu’on aura la majorité du contenu rédigé le sera par des IA dans les prochaines années.

Je fais partie de ces gens là. Pour la simple et bonne raison que pour qu’une IA soit efficace, il lui faut des données. Et peu importe si les données sont fiables ou non, vrai ou hallucinés, plus il y en a, mieux c’est.

De plus, un contenu généré par IA est beaucoup plus facile à lire par une IA. C’est donc gagnant gagnant pour qu’il soit encore plus rapide pour trouver ce qu’il pense que vous cherchez.

La génération plus jeune que moi est la génération alpha qui a vécu avec des smartphones dans les mains. Ils ont déjà perdu ou n’ont même pas connu nos réflexes de vieux butineurs. Les navigateurs sont presque obsolètes pour eux.

La prochaine génération sera pire. C’est pour ça que vous voyez autant de gros mastodonte s’engouffrer aussi fort dans l’IA. Les générations futurs consommeront l’internet de manière « naturelle », en discutant avec un assistant. Internet ne sera plus un espace d’échange entre humain, mais un support pour l’information.

En tout cas, c’est comme ça que je vois les choses. J’aurais peut-être tord (et j’espère avoir tort), mais forcé de constater qu’on s’y plonge doucement.

Pour conclure, ceux qui se posent la question de si Internet ne va pas finir par exploser avec tout ce contenu généré par IA à stocker quelque part, je vous conseille l’excellente vidéo de What a Fail ! sur le sujet.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.